segunda-feira, 28 de julho de 2008

TODOS OS SÍMBOLOS: A Grafia do Respeito

COURBETTES

Roland Barthes (L'Empire des Signes)

Pourquoi, en Occident, la politesse est-elle considérée avec suspicion? Pourquoi la courtoisie y passe-t-elle pour une distance (sinon même une fuite) ou une hipocrisie? Pourquoi un rapport «informel» est-il plus souhaitable qu'un rapport codé?

L'impolitesse de l'Occident repose sur une certaine mythologie de la «personne». Topologiquement, l'homme occidental est réputé double, composé d'un «extérieur», social, factice, faux, et d'un «intérieur», personnel, authentique (lieu de la communication divine). Selon ce dessin, la «personne» humaine est ce lieu empli de nature (ou de divinité, ou de culpabilité), ceinturé, clos par une enveloppe sociale peu estimée: le geste poli (lorsqu'il est postulé) est le signe de respect échangé d'une plénitude à l'autre, à travers la limite mondaine (c'est-à-dire en dépit et par intermédiaire de cette limite). Cependant, dès lors que c'est l'intérieur de la «personne» qui est jugé respectable, il est logique de reconnaître mieux cette personne en déniant tout intérêt à son enveloppe mondaine: c'est donc le rapport prétendument franc, brutal, nu, mutilé (pense-t-on) de toute signalétique, indifférent à tout code intermédiaire, qui respectera le mieux le prix individuel de l'autre: être impoli, c'est être vrai, dit logiquement la morale occidentale. Car s'il y a bien une «personne» humaine (dense, pleine, centrée, sacrée), c'est sans doute ele que, dans un premier mouvement, l'on prétend «saluer» (de la tête, des lèvres, du corps); mais ma propre personne, entrant inévitablement en lutte avec la plénitude de l'autre, ne pourra se faire reconnaître qu'en rejetant toute médiation du factice et en affirmant l'intégrité (mot justement ambigu: physique et moral) de son «intérieur»; et dans un second temps, je réduirai mon salut, je feindrai de le rendre naturel, spontané, débarassé, purifié de tout code: je serais à peine gracieux, ou gracieux selon une fantasie apparemment inventée, comme la princesse de Parme (chez Proust) signalant l'ampleur de ses revenus et la hauteur de son rang (c'est-à-dire son mode d'être «pleine» de choses et de se constituer en personne), non par la raideur distante de l'abord, mais par la «simplicité» voulue de ses manières: combien je suis simple, combien je suis gracieux, combien je suis franc, combien je suis quelqu'un, c'est ce que dit l'impolitesse Occidental.

L'autre politesse, par la minute de ses codes, le graphisme net de ses gestes, et alors même qu'elle nous apparait exagérément respectueuse (c'est-à-dire, à nos yeux, «humiliante») parce que nous la lisons à notre habitude selon une métaphysique de la personne, cette politesse est un certain exercice du vide (comme on peut l'attendre d'un code fort, mais signifiant «rien»). Deux corps s'inclinent très bas l'un devant l'autre (les bras, les genoux, la tête restant toujours à une place réglée), selon des degrés de profondeur subtilement codés. Ou encore (sur une image ancienne): pour offrir un cadeau, je m'aplatis, courbé jusqu'à l'incrustation, et pour me répondre, mon partenaire en fait autant: une même ligne basse, celle du sol, joint l'offrant, le recevant et l'enjeu du protocole, boîte qui peut-être ne contient rien - ou si peu de chose; une forme graphique (inscrite dans l'espace de la pièce) est de la sorte donnée à l'acte d'échange, en qui, par cette forme, s'annule toute avidité (le cadeau reste suspendu entre deux disparitions). Le salut peut être ici soustrait à une humiliation ou à toute vanité, parce qu'à la lettre il ne salue personne; il n'est pas le signe d'une communication, surveillée, condescendante et précautionneuse, entre deux autarcies, deux empires personnels (chacun régnant sur son Moi, petit domaine dont il a la «clef»); il n'est que le trait d'un réseau de formes où rien n'est arrêté, noué, profond. Qui salue qui? Seule une telle question justifie le salut, l'incline jusqu'à la courbette, l'aplatissement, fait triompher en lui, non le sens, mais le graphisme, et donne à une posture que nous lisons comme excessive, la retenue même d'un geste dont tout signifié est inconcevablement absent. La forme est vide, dit - et redit - un mot bouddhiste. C'est ce qu'énoncent, à travers une pratique de formes (mot dont le sens plastique et le sens mondain sont ici indissociables), la politesse du salut, la courbure de deux corps qui s'écrivent mais ne se posternent pas. Nos habitudes de parler sont très vicieuses, car si je dis que là-bas la politesse est une religion, je fais entendre qu'il y a en elle quelque chose de sacré; l'expression doit être dévoyée de façon à suggérer que la religion n'est là-bas qu'une politesse, ou mieux encore: que la religion a été remplacée par la politesse.